Maladie d'Alzheimer : le souffle du Présent

Ils ont probablement été soignants, cuisiniers, banquiers, ouvriers, avocats, employés de la fonction publique, agents d’entretien... Je ne sais rien de leur passé, ni de qui ils étaient.

Aujourd’hui, leur mémoire les abandonne, le temps perd ses contours, leurs souvenirs se dissolvent doucement, comme une trace de pas sous l’écume des vagues.

Mon chemin de praticienne en shiatsu m’a menée au sein d’une unité accueillant des résidents atteints de la maladie d’Alzheimer.

Dès mon arrivée à la résidence, l’esprit Shoshin (l’esprit du débutant) est plus que jamais présent. Cet accompagnement me tient à cœur, je connais les gestes, mais les résidents m’enseignent la vraie nature du moment présent.

Chaque séance est une nouvelle histoire éphémère : ils découvrent mon visage pour la première fois tous les quarts d’heure. Avec ces dames, ces messieurs, le temps se dissout. Il n’y a plus d’attente, pas de projection vers le futur, pas de lien à entretenir... simplement vivre la rencontre ici et maintenant : deux présences, un souffle, un toucher.

Là où le mental s’efface, le shiatsu devient un langage silencieux : le corps reconnaît la douceur, perçoit la bienveillance et s’abandonne à la détente. Un visage anxieux murmure en s'apaisant, une respiration saccadée se calme et s’allonge, une main crispée se relâche. La vulnérabilité se met en sourdine pour laisser place à une hymne à la détente.

À cet instant de vie, je ne donne plus un soin à "quelqu’un d’avant", je partage simplement avec "quelqu’un de maintenant", lui tenant cette main qui me rappelle l’essentiel de ma pratique ici : la véritable présence ne dépend pas de la mémoire, mais de la qualité du lien. Au-delà des mots, des rôles et de cette mémoire qui s’en va, quelque chose demeure : la puissance du moment présent, le simple fait d’être là, de communiquer à travers la lueur d’un regard, la lumière d’un sourire, une douce pression pour rassurer.

La mémoire et le langage s’effacent, tandis que l’émotion reste vivante... J’accueille sans juger, suivant le mouvement au lieu de corriger, plongeant dans une douce valse d’humanité où se mêlent joie, angoisse, colère, tendresse, hypersensibilité, affection, sécurité, calme... Une rencontre à l’état pur, authentique.

Ils m’auront oubliée à l’instant où je quitterai la pièce, mais je garde en moi les petits sourires d’anges sur leurs visages, au moment où leur corps lâche prise, au moment où ils s’endorment dans une parenthèse de calme et de sérénité... Jusqu’à la prochaine fois, où nous écrirons ensemble une nouvelle histoire éphémère, dans un souffle de présent.

Naoki San' Shiatsu ©